Cabinet de Psychothérapie Existentielle de Sélestat Didier BRESSAN, Psychopraticien Certifié® FF2P - Titulaire du Certificat Européen de Psychothérapie (CEP)

Le pays des montagnes bleues (Psychogénéalogie)

Didier BRESSAN Par Le 25/10/2016

Dans Essais d'interprétations jungiennes de contes

Montagnes bleuesÀ travers ses messages archétypaux, ce conte nous propose des clés pour faire face à notre complexe inconscient qui peut parfois ralentir notre progression, et celle de notre lignée, sur le chemin de l’individuation.
L’analyse de ce conte va montrer qu’en guérissant son arbre générationnel, le héros permet à la branche de sa lignée de reprendre son développement et sa croissance. Pour ce faire, il devra trouver le moyen de quitter ses schémas bloquants et répétitifs, ce qui lui permettra d’évoluer vers une transformation psychique et spirituelle, vers une meilleure unité d’être, vers le Soi.

Table des matières

1.  Récit du conte
2.  Interprétation du conte
3.  Conclusions

Symbolisme et messages inconscients du conte

1. Récit du conte

Il était une fois trois frères. Un jour l’ainé décide de partir pour découvrir le monde. Il marche longtemps et, à la nuit tombante, il découvre un château. Fatigué, affamé, il demande s’il peut passer la nuit dans l’écurie. Une belle demoiselle apparait et le fait entrer dans une pièce où il découvre une grande table remplie de victuailles. Elle dit : « Ici tout est à toi. Tu vas pouvoir te servir. Mais avant, je vais éteindre la lumière car ici, c’est l’usage. Tu choisiras dans le noir ce que tu veux. » Quand la lumière s’est éteinte, dans le noir, le jeune homme prend un morceau de viande. Mais, à peine l’a-t-il porté à sa bouche… que la lumière se rallume et la belle demoiselle crie : « Serviteurs ! » Et deux solides gaillards s’emparent du garçon et le jettent en prison.

Puis le second frère décide à son tour de quitter la maison pour s’en aller faire sa vie. Lui aussi a beaucoup marché. Lui aussi est arrivé au même château, où il demande un abri pour la nuit. La belle demoiselle apparait. Elle le fait entrer dans la salle du festin où se dresse la table pleine de bonnes choses appétissantes. Et elle lui dit : « Ici tout est à toi, tu vas pouvoir te servir. Mais l’usage veut, dans ce pays, que j’éteigne d’abord les lumières. » Dès que la lumière est éteinte, le jeune homme prend un gâteau. Il s’apprête à le manger… quand une voix retentit : « Serviteurs ! » Et deux serviteurs surgissent, saisissent le garçon et le jettent en prison.
Voilà que le troisième frère s’en va lui aussi parcourir le monde. Il marche longtemps, et, à la nuit tombante, il arrive au château. Éreinté, il demande à être reçu. La belle demoiselle l’accueille et l’introduit dans la pièce où la belle table chargée de mets délicieux l’attend.
- Ici, tout est à toi. Tu pourras te servir. Mais l’usage veut, dans ce château, que j’éteigne d’abord la lumière… Tu choisiras, mais dans le noir, ce que tu préfères.
- Mais, dit le jeune homme, ce que je préfère ici, c’est vous ! Ici, tout est à moi ?
Alors il prend la belle dans ses bras et l’embrasse.
Alors elle le fait asseoir à table avec elle et ils dînent, tous les deux, parlant peu, goûtant le moment. Puis elle dit :
- Pourrais-tu écrire que tu m’aimes et que tu veux m’épouser ?
Alors c’est ce qu’il fit.
- Il faut que tu saches que je suis la fille du roi des montagnes bleues.
- Cela ne change rien ! Fille de roi ou fille de berger, je t’aime et je veux t’épouser.
Ce soir-là, ils ont fixé la date de leur mariage. Et puis la princesse a dit :
- Voici une bourse d’or. Tu vas aller chez le tailleur en ville pour te faire confectionner un costume pour le mariage. À ton retour, je viendrai te chercher en carrosse.
Le voilà donc parti chez le tailleur. Il commande un beau costume et s’en va. Mais la mère du tailleur, qui en réalité était une malveillante, une sorcière… demande à son fils de suivre le jeune homme et de trouver le moyen de lui faire manger une pomme, qu’elle lui donne.
Le tailleur rattrape le jeune homme, ils marchent ensemble. Et comme ils étaient fatigués, ils s’arrêtent sur un banc. Le tailleur lui propose une pomme. Mais quand il l’eut croqué, il s’endormit profondément. Quand la belle arrive en carrosse, elle voit son bien-aimé endormi et questionne le tailleur qui répond : « Je ne sais pas… il vient de s’endormir ». Et il fut impossible de le réveiller. Alors la princesse dit au tailleur : « Quand il se réveillera, tu lui donneras ce couteau en or et tu l’emmèneras passer la nuit chez toi. Demain, à la même heure, je viendrai le chercher ». C’est donc ce que fit le tailleur dès qu’elle fut partie car le jeune homme s’était aussitôt réveillé.
Le lendemain le jeune homme reprend le chemin du château. Le tailleur l’accompagne et sur le chemin, il lui propose une poire… mais pas une poire ordinaire… une poire que lui avait donnée sa mère-sorcière… Et c’est ainsi que le jeune homme s’endormit encore après avoir goûté la poire… La princesse arrive en carrosse et voit l’homme endormi.
- Mais qu’est-ce qu’il y a encore ?
- Je n’y comprends rien, dit le tailleur, il s’est à nouveau endormi !
- Réveille-le !
Mais impossible… Même en le secouant.
- Quand il s’éveillera, dit la belle, tu lui donneras cette faucille en or… Je viendrai le chercher ici, demain, à la même heure.
Mais le lendemain, c’est une aiguille en or que la mère du tailleur lui confie, avec l’ordre de la piquer avec cette épingle. Et ils reprennent le chemin du château. Arrivé devant le banc, le jeune homme dit qu’il n’a ni faim ni soif. Mais il s’assoit, pour attendre la princesse. Alors le tailleur s’assoit à côté de lui, et, lui donnant une tape amicale sur le dos, en profite pour le piquer avec l’aiguille en or. Alors l’homme s’endort profondément. La princesse arrive en carrosse, le voit endormi. Alors elle dit au tailleur : « Quand il s’éveillera, dis-lui que je ne reviendrai plus jamais. Mais donne-lui quand même cet anneau d’or, en souvenir de moi ». Et c’est ce que le tailleur a fait.
Le soldat s’est levé, il est parti au château. Et on lui a dit au château que la princesse était partie dans le pays de son père, le pays des montagnes bleues. Alors il décide de partir à la recherche de sa bien-aimée. Mais personne ne peut lui dire où se trouve le pays des montagnes bleues… Un jour qu’il marchait, il aperçut un vieillard en train de couvrir un toit de chaume. Il lui demande :
- Savez-vous où se trouve le pays des montagnes bleues ?
- Non, parce que je n’ai jamais voyagé, mais mon père peut-être pourra vous renseigner…
- Parce que… vous avez encore votre père ? Où est-il ?
- Le voilà qui arrive, chargé des gerbes de paille qu’il m’apporte.
Le soldat demande alors au vieillard s’il connait le pays des montagnes bleues.
- Non, mais mon père le connait peut-être.
- Quoi ? Vous avez encore votre père ?
- Bien sûr, il se porte très bien. Il coupe le blé, là-bas, dans le champ pour faire de belles gerbes.
Le soldat va alors dans le champ et demande au grand-père du vieillard s’il connait le pays des montagnes bleues.
- Non, mais peut-être que mon père le connait.
- Et… il se porte bien votre père ?
- Oui, très bien, je vous remercie. Il est en pleine forme. Il sème du blé dans le champ, là-bas…
Le soldat demande à l’homme qui sème le blé s’il connait le pays des montagnes bleues.
- Non, je ne le connais pas, mais mon père doit savoir.
- Ah bon ! Votre père ? Mais où est-il ?
- Il est à la maison, venez avec moi.
Arrivé chez lui, l’homme qui sème montre son père, couché dans un berceau.
- Est-ce que vous connaissez le pays des montagnes bleues ?
- Non, je ne le connais pas.
- Alors personne ne connait le pays des montagnes bleues ?
- Les oiseaux qui voyagent le connaissent, mais il n’y a plus d’oiseaux.
- Pourquoi n’y a-t-il plus d’oiseaux ?
- Parce que mon fils les a tous fait partir.
- Pourquoi avez-vous fait partir tous les oiseaux ?
- Parce qu’il mangeait tous les grains de blé que je semais. Mais je peux les faire venir pour vous demain, à condition qu’ils s’en aillent après…
Le matin, l’homme-qui-sème a pris un sifflet d’argent et il a appelé les oiseaux. L’aigle est arrivé le dernier.
- Comment, toi qui es le roi des oiseaux, tu es arrivé le dernier ? Lui a dit l’homme-qui-sème.
- Oui, mais j’étais très loin. Quand tu as sifflé, j’étais au pays des montagnes bleues…
- Et bien tu vas y retourner et y emmener cet homme.
- Je veux bien, a dit l’aigle, mais il est lourd, cet homme, j’aurai besoin de forces, de nourriture.
Alors, avant qu’ils ne partent, l’homme-qui-sème a donné au jeune homme deux musettes, l’une remplie de viande crue pour l’aigle, l’autre remplie de viande cuite pour lui. Et l’aigle s’est envolé, l’emportant sur son dos. Au bout d’un moment, l’aigle a dit :
- J’ai trop faim, je ne peux pas continuer !
Alors le jeune homme lui a donné des morceaux de viande crue et l’aigle a volé encore un peu. Puis il a dit : « J’ai encore faim, je ne peux pas continuer. »
Alors il lui a donné de la viande cuite pour qu’il continue le voyage. Mais au bout d’une heure, l’aigle avait encore faim. Alors il a pris son couteau en or et il a coupé un morceau de sa cuisse gauche pour le lui donner. Et l’aigle a volé encore une heure.
Et puis il a dit :
- C’était très bon, mais j’ai encore faim !
Alors le jeune homme a coupé un morceau de sa cuisse droite pour l’aigle.
Il l’a mangé et a dit :
- Cette fois-ci, nous sommes arrivés. Et il a déposé le jeune homme devant le château du roi du pays des montagnes bleues. Et il est reparti.
Le jeune homme était si faible qu’il s’est écroulé là, devant la maison du jardinier. Le jardinier et sa femme, qui étaient de braves gens, l’ont recueilli et soigné.
Quand il a été guéri, pour les remercier, il a voulu travailler chez eux. Et avec sa faucille en or, il a coupé toutes les mauvaises herbes du jardin, il a taillé les arbres, puis il a greffé les arbres. Et ces arbres se sont mis à faire des fruits merveilleux, des fruits comme personne n’en avait jamais vu avant. Des abricots et des pêches… Les pêches surtout étaient magnifiques. Le jardinier a dit :
- Tu devrais offrir un panier de ces magnifiques pêches à la fille du roi du pays des montagnes bleues. Je suis sûr que cela lui ferait plaisir.
Alors le jeune homme apporte un panier de pêches à la fille du roi qui en est ravie, mais ne le reconnait pas. Pour le remercier, elle lui offre un verre de vin.
- Non, lui dit le jeune homme, je vis d’amour et d’eau fraîche.
Alors la fille du roi lui fait apporter un verre d’eau fraîche.
Et, sans qu’elle le voie, il met l’anneau d’or dans le verre et dit :
- Dans mon pays, l’usage veut que celui qui offre un verre à boire en prenne lui-même la première gorgée.
La fille du roi prend le verre, s’apprête à boire et elle voit l’anneau d’or. Elle prend l’anneau et elle voit son nom gravé à l’intérieur.
- Est-ce que tu n’as rien d’autre à me montrer ?
Le jeune homme lui montre le couteau en or et la faucille en or.
- Oui, je t’ai reconnu. C’est bien toi que j’attendais, mais je voulais en être sûre…

Alors on a fixé à nouveau la date du mariage. Et on fait sortir de prison les deux frères du jeune homme. Les noces ont duré je ne sais combien de jours et ils ont vécu très heureux et très longtemps.
 

2. Interprétation du conte

Trois frères sont présentés, désireux de découvrir le monde. Nous ne connaissons rien des origines familiales des trois frères ni de ce qu’ils laissent derrière eux. Est-ce un choix volontaire ? Une fuite ? Tous trois finissent par aboutir devant la porte d’un château où vit une belle demoiselle, qui semble attendre un homme pour se marier. Pour tenter de comprendre ce qui est en jeu dans cette rencontre, il nous faut regarder la construction du conte. Nous partons d’une quaternité (symbole du Soi) composée de trois frères et une demoiselle royale, pour finir avec une quaternité composée de deux frères et un couple marié. Nous sommes en présence d'un processus évolutif conduisant à la réalisation du Soi. Ce conte parle d’un homme sur la voie de l’individuation, en prise avec son complexe inconscient. La femme du château représente l’anima de l’homme, ou son âme, peut-être aussi la présence du Soi. Elle va lui permettre d’évoluer sur son chemin d’individuation. C’est par elle que l’homme va appréhender non seulement le monde féminin, et également les contenus de son inconscient.

Alors que les trois frères marchent à travers le monde, la nuit s’annonce. L’inconscient fait son apparition, dévoilant un château. Cet édifice représente la sécurité de la maison, renforcée par un sentiment élevé de protection. Ce qu’il renferme est séparé du reste du monde, dans un aspect aussi inaccessible que désirable. Celui ou celle qui y pénètrent peuvent faire l’expérience d’une transcendance de la conscience. Selon G. ROMEY, le château apparaissant dans les rêves représente le lieu des abandons, où se sont jouées des scènes d’enfance que le rêveur ne reconnait plus, mais qu’il doit cependant retrouver pour s’en rendre indépendant. Dans ce conte, on peut y voir un lien avec quelque chose qui appartient à la lignée familiale des frères, et qui est tombé dans les oubliettes. Les trois frères vont pénétrer au cœur de l’inconscient, du désir indéterminé, de la mémoire confuse, symbolisé par l’extinction des lumières du château. Là, ils devront faire un choix entre la voie de la matière manifestée par le désir (l’oralité) ou celle de l’esprit. L’ainé et le cadet choisissent le désir en se saisissant d’un morceau de viande et d’un gâteau. Ils ne quittent pas le niveau inférieur de la matière, se détournent de l’inconscient, et se retrouvent enfermés en prison. Quant au benjamin, on peut dire qu’il subit un coup de foudre en voyant la belle. Il s’agit là d’une projection inconsciente de l’anima négative. La belle devient l’objet des projections de l’homme, non un sujet d’amour. Pour la conquérir, l’homme devra rétablir une meilleure relation entre son esprit conscient, le Moi, et l’inconscient menant au Soi. Ainsi il trouvera un équilibre entre le Masculin et le Féminin, et accédera aux noces intérieures, à l’unité divine. Son complexe-inconscient est alors activé, l’homme ne pourra plus s’en détourner. Le processus engendré va conduire le benjamin à une évolution de sa psyché. Ce long processus va confronter son Moi à l’ombre, testant sa valeur, sa force, son courage, sa volonté, et aussi son humilité. C’est le prix à payer pour atteindre le niveau du Soi, le lieu de l’amour inconditionnel.

Donc, l’homme déclare son amour à la belle demoiselle. Elle semble se méfier des mots mentalisés, et lui demande d’écrire sa déclaration, comme pour la sceller dans la pierre afin de la sacraliser. Dans nombres de cultures et traditions, l’écriture permet de donner aux mots leur fonction de force agissante. C’est par exemple le cas de la calligraphie chinoise, et c’est aussi le cas de l’écriture égyptienne qui est le signe visuel de l’activité divine, de la manifestation du Verbe. C’est alors que la Belle dévoile sa véritable identité, car l’homme peut maintenant voir en elle un sujet d’amour. Elle accepte la demande en mariage. Sur le plan symbolique, l’homme est en lien avec l’aspect positif de son anima. Celui-ci va l’aider à éclairer ce qui est constellé dans son inconscient, afin que la psyché du jeune homme se libère des entraves inconscientes de son évolution. L’homme va devoir rencontrer la partie négative de sa polarité féminine, et l’intégrer. L’aspect négatif de son anima trouve généralement ses sources dans la relation mère-enfant, quand elle n’a pas été satisfaisante.

La belle donne à son prétendant une bourse remplie d’or, afin qu’il se fasse faire un costume de mariage chez le tailleur. Elle le prévient qu’a son retour, elle viendra le chercher en carrosse. Au niveau symbolique, le carrosse évoque une difficulté relative au rapport à la famille. Son apparition incite une prise de conscience des effets pervers d’un complexe œdipien non résolu. On le voit apparaitre dans le conte de Cendrillon, personnage associé au complexe d’Œdipe. Quant à la bourse d’or, elle symbolise à mon sens la cupidité du jeune homme, son désir effréné de puissance et de jouissance des biens matériels de ce monde. L’inconscient place l’homme face à sa cupidité qu’il devra traverser pour s’élever et atteindre une autre dimension de son esprit. Le voilà maintenant en possession d’un nouvel habit qui lui donne une nouvelle apparence extérieure (une persona). Il s’agit d’une adaptation relationnelle envers le monde extérieur, et non une évolution spirituelle. Mais là, nous voyons apparaitre une initiatrice qui au travers des épreuves qu’elle réserve au jeune homme, va lui permettre d’évoluer sur son chemin d’individuation.

La sorcière représente l’anima de l’homme dans sa polarité négative. Elle agit à travers son fils, le tailleur, et va transmettre au jeune homme une pomme empoisonnée. On comprend qu’il existe une relation particulière qui s’exprime entre le fils à la mère, et qui laisse supposer un Œdipe non résolu, favorisant la propagation du poison familial. En mangeant la pomme, l’homme est immédiatement renvoyé dans la profondeur de son inconscient, là où réside l’ombre qu’il doit absolument rencontrer pour l’intégrer ? Ce n’est pas sans rappeler le conte de « La belle au bois dormant », où la belle s’endort cent ans, le temps nécessaire à la maturation de son Moi, pour enfin traverser la nuit et rencontrer le prince (le Soi) dans la lumière, et ainsi atteindre un éveil spirituel symbolisé par une union. La pomme est un symbole ambivalent, puis qu’elle représente à la fois le fruit de l’Arbre de Vie, et aussi celui de l’arbre de la Science et du bien et du mal. Dans le conte, la pomme est empoisonnée, comme venant d’un arbre malade qui renvoie à celui de la lignée familiale. Selon les écritures sacrées, l’interdit prononcé par Dieu de manger la pomme, mettrait l’homme en garde contre la prédominance des désirs terrestres, qui l’entraine vers une vie matérialiste par une sorte de régression, à l’opposé de la vie spirituelle, qui est le sens de l’évolution progressive.

L’homme mange la pomme, plonge dans son inconscient, et la belle demoiselle, son anima dans sa polarité positive disparaît. Mais avant de partir, elle prie le tailleur de remettre à l’homme un couteau en or, et de lui faire passer la nuit chez lui. Dès qu’elle s’éloigne de l’homme, il se réveille, et retour au point de départ, auprès de la sorcière, l’aspect négatif de l’anima. Quand l’anima n’est pas intégrée, elle trouve toutes les stratégies possibles pour emporter l’homme. Quant au couteau, on peut le voir comme un dangereux outil de castration, mais aussi comme un moyen de trancher la partie malade qu’il porte en lui, car il est en or, donc c’est une manifestation symbolique du Soi.

Après avoir passé la nuit chez le tailleur, l’homme se remet en route, et cette fois c’est la poire de la sorcière qui le coupe de son inconscient. Dans les rêves, la poire est un symbole érotique dû à sa douce saveur, à son abondance de suc, et à sa forme féminine. L’homme est alors confronté à Éros (Thanatos, la pulsion de mort n’est pas loin), représentant dans la philosophie grecque la première forme de l’amour physique, du désir appelant le contact. Il devra évoluer vers Philia, symbole de l’amour de l’esprit de l’autre, de la relation d’estime mutuelle, de l’amitié, pour atteindre Agapè, l’amour divin inconditionnel. Il s’agit d’un amour désintéressé, sans recherche d’enrichissement personnel, sans attente de réciprocité. C’est donc l’amour pour l’amour, l’acte de charité principalement. Cet amour se manifestera à la fin du conte, grâce à l’aigle.

Cette rencontre avec la poire de la sorcière, va permettre à l’homme de recevoir de son inconscient une faucille en or, symbole du cycle des moissons qui se renouvellent : la mort et l’espoir des renaissances. Lendemain à son réveil, il se remet en chemin. Mais arrivé prêt du banc, l’homme semble avoir évolué. Il ne souhaite plus d’une nourriture du corps, il veut simplement se reposer et attendre sa princesse, sa divine. Le banc apparait comme une limite que le Moi doit franchir pour passer du monde de la matière au monde spirituel, vers l’unité du Soi. Le tailleur pique le jeune homme avec l’aiguille de la mère sorcière. L’aiguille est en or, il me paraît donc juste de l’interpréter comme un objet positif. Dans le conte « La princesse aux 12 paires de chaussures dorées », la jeune fille en blanc, personnage froid et mortel semblable à un spectre, attire la princesse chez le troll. Mais celle-ci possède l’aiguille en or qui peut le tuer. M-L von FRANZ dit que le facteur de guérison est généralement caché dans cela même qui rend la personne névrotique. En se reposant sur le banc, l’homme se coupe de la dynamique de son énergie masculine. Son inconscient lui apporte l’aiguille en or pour le replonger dans sa profondeur, et lui permettre de se retrouver, de retrouver le lieu de ses souffrances pour y voir plus clair, faire le point, et trouver le chemin de la guérison. Cela aura pour effet évolutif une perte de contact avec son anima dans l’aspect négatif (la sorcière n’apparait plus dans le déroulement de l’histoire), peut-être vu aussi comme une distanciation de son complexe œdipien. Avant de disparaître, l’anima positive offre à l’homme un anneau en or, symbole du Soi par excellence. Grâce à ce présent, il va pouvoir faire évoluer son lien d’amour vers l’agapè. En se réveillant, l’homme peut maintenant s’appuyer sur la force créative de son énergie masculine retrouvée, et se mettre en mouvement à la recherche de sa bien-aimée, en tant que sujet d’amour.

Donc, l’aiguille intervient comme remède de guérison qui permet au jeune homme d’intégrer sa réalité vécue, et de reprendre le cours de sa progression évolutive sur son chemin d’individuation. Ainsi, il pourra régler une par une toutes les difficultés de son passé, constellées dans son inconscient, qui s’interposent dans sa quête d’unité intérieure. C’est ainsi qu’il décide de partir au pays des montagnes bleues, à la recherche de sa bien-aimée qu’il veut épouser, de son unité intérieure. Mais personne ne sait où se trouve ce pays. Le voyage va l’entrainer jusqu’aux confins de son inconscient, et aussi de l’inconscient transgénérationnel de sa lignée familiale, à la rencontre de ses racines, et des esprits de ses aïeux.

Il faut beaucoup d’effort pour gravir une montagne, comme pour atteindre la réalisation spirituelle. La montagne est un lieu de rencontre entre le monde du bas (la matière) et le monde du haut (le spirituel), demeure des dieux et terme de l’ascension humaine. C’est donc un symbole qui renvoie au Soi. Le bleu est la couleur de l’inaccessible, de la profondeur infinie du ciel où résident les esprits. C’est la plus immatérielle des couleurs. On dit que les Égyptiens considéraient le bleu comme la couleur de la vérité. C’est donc dans un lieu sacré, difficilement accessible, symbole de justice et de connaissance, que le jeune homme doit se rendre pour retrouver sa bien-aimée. Et il lui faudra trouver de bons guides sur son chemin.

Le premier qu’il rencontre est un vieillard en train de couvrir un toit de chaume. Celui-ci ne sait pas où se trouve le pays des montagnes bleues, et renvoie le jeune homme à son père, qui arrive chargé de gerbes de paille pour couvrir le toit de la maison. Le père le renvoie à son propre père qui coupe le blé pour faire les gerbes, il s’agit donc du grand-père du vieillard, qui le renvoie à l’arrière grand-père qui sème le blé. Et c’est ainsi que le jeune homme se retrouve face à l’arrière arrière-grand-père, couché dans un berceau. Celui-ci ne connait pas le chemin qui mène au pays des montagnes bleues, mais il sait que les oiseaux qui voyagent le connaissent. Seulement voilà, il n’y a plus s’oiseaux, son fils les a fait partir parce qu’il mangeait les grains de blé qu’il semait. On voit ici toute une symbolique de l’évolution intérieure, par la croissance du blé, depuis la graine jusqu’au toit de chaume.

Nous voilà plongés dans l’inconscient transgénérationnel du jeune homme. Quelque part dans la lignée familiale, un ancêtre s’est éloigné de la spiritualité. Il faudra que le jeune homme remonte jusqu’à la source de sa lignée pour apprendre comment retrouver le chemin perdu. L’ancêtre du berceau sait qu’un savoir familial n’a pas été transmis dans la lignée. Il en connait les raisons, mais pas la solution. Seul l’ancêtre à l’origine de la rupture de transmission peut trouver une solution. Et c’est avec l’aide de son descendant que l’aïeul va guérir son arbre familial en recréant du lien avec le monde d’en haut.

Grâce au sifflet d’argent, les oiseaux reviennent, l’aigle royal en dernier, car il est très loin, parti dans les oubliettes de l’inconscient depuis bien longtemps. L’argent fait apparaitre le principe passif féminin. Ce métal est en rapport avec la Lune, et d’ordre féminin. Il est en opposition avec l’or en rapport avec le Soleil, principe actif masculin. Dans la symbolique chrétienne, l’argent représente la sagesse divine, l’or évoque l’amour divin pour les hommes. La réunification de l’or et de l’argent symbolise la rencontre de l’âme et de l’esprit, un attribut d’un Roi, ce que l’aigle représente sur le plan symbolique. George ROMEY dit que dans les rêves, « l’agent, métal lunaire, est l’un des plus actifs ferments de l’anima. Il dissout les tensions qui s’opposaient à une relation harmonieuse à la mère… L’avènement de l’anima s’accompagne d’un mouvement profond de la psyché vers une disposition d’accueil, d’acceptation de la destinée » (Georges ROMEY, Dictionnaire de la symbolique des rêves, p. 42). Donc, en demandant de l’aide à son aïeul, le jeune homme entre dans une phase importante de transformation psychique, il entre dans l’univers d’agapè, du Soi. Son amour inconditionnel va être mis à l’épreuve, au prix de sa chair humaine, du sacrifice de son corps, de la matière. Et c’est ainsi qu’il peut nourrir « l’aigle guide » qui le conduit au royaume espéré. L’homme est faible, le voyage initiatique fut long, éprouvant, risqué jusqu’au péril de sa vie, mais il est là, triomphant. Il lui faut maintenant reprendre le cours des évènements intemporel au lieu de son aïeul « l’homme-qui-sème », et semer une nouvelle graine sur la terre des ancêtres, prendre soin de la lente évolution de l’Arbre de Vie, le pêcher, jusqu’à maturation de ses fruits (la pêche est un symbole de protection contre les mauvaises influences, d’immortalité), qui à leur tour engendreront de nouvelles graines de vie, et perpétueront ainsi la ligné par le bon déroulement du cycle Vie-Mort-Vie.
 

3. Conclusions

Dans le conte, on comprend bien qu’en retrouvant sa bien-aimée, en se mariant avec elle, l’homme permet à son arbre générationnel d’exister, grâce à la promesse annoncée d’une descendance possible. Mais il lui faut se rencontrer, rencontrer son âme pour espérer un jour retrouver sa belle. Ainsi, en se mettant en route à la recherche de sa moitié, le héros du conte entreprend un véritable voyage initiatique qui va l’embarquer dans un processus d’individuation. C’est ainsi que le jeune homme pourra devenir un individu psychologique, c’est-à-dire une unité autonome et indivisible, une totalité. C.G. Jung dit que pour entrer dans le processus d’individuation, il faut sortir du processus d’individualisation. C’est ce que fait le jeune homme du conte par la prise de conscience du Moi. Il dépasse les limites de sa psyché individuelle, l’égo, la matière que symbolise Éros, pour inclure l’univers tout entier, le spirituel que symbolise Agapè, et atteindre la réalisation du Soi (l'unité) que symbolise Philia.

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